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مُساهمة  احمد حرشاني 29th أغسطس 2010, 13:46

La fin de l’école (1)
par Jacques MUGLIONI


" (…) En quoi les changements intervenus récemment dans la société appelleraient-ils le bouleversement de l’institution scolaire, la mise en question de sa fonction, voire de son existence distincte ? Mais d’abord est-il vrai que le cours de l’histoire au XXème siècle ait subitement changé d’allure ? Pour ne prendre qu’un exemple, qui n’est qu’une fiction, si les inventions ou découvertes accomplies depuis le milieu du XVème jusqu’au début du XVIème siècle, de l’imprimerie au premier tour du monde en passant par l’aventure de Colomb, avaient pu être l’objet d’une représentation immédiate, comme ce serait sans doute le cas aujourd’hui, on n’aurait pas manqué alors d’évoquer une prodigieuse accélération de l’histoire. Aussi la rhétorique du changement, qui porte à répéter sans preuve que rien n’est plus comme avant, semble-t-elle avoir deux objectifs : discréditer, d’une part, le savoir et la culture comme des survivances, masquer, d’autre part, des permanences trop déplaisantes dans la réalité des rapports sociaux. Le conservatisme, en effet, est habile à renouveler son discours et à tirer parti des modes. Le côté spectaculaire des progrès techniques et l’influence que ces progrès ont parfois sur les moeurs peuvent inciter à sous-estimer la stagnation en profondeur des rapports sociaux en tant qu’ils sont, plus que jamais, subordonnés au règne de l’argent et à la religion industrielle, pourtant déjà vieillie. Le discours sur l’ouverture de l’école n’est peut-être qu’un épisode dans l’histoire d’une société fabricatrice et marchande qui tend de plus en plus à s’identifier à la société tout entière. L’insistance mise à contester ce qui dans l’école a encore forme d’enseignement paraît bien montrer qu’il s’agit de réduire le dernier noyau de résistance entravant le mouvement qui nous porte vers une société économique de part en part, et définitivement homogène. Le plus déconcertant est que cette offensive visant à la capitulation sans condition de l’école veuille se donner toutes les apparences d’une politique de progrès. Ici comme souvent le conservatisme le moins imaginatif et le progressisme le moins lucide se donnent la main. Mais, tandis que le premier a l’habileté de distraire l’opinion par la représentation des changements apparents, c’est-à-dire de ceux qui sont d’abord de l’ordre du spectacle, comme l’évolution des moeurs et des techniques, les partisans traditionnels du progrès, eux-mêmes fascinés par cette apparence, ne semblent plus guère capables de concevoir des changements réels ; ils ont renoncé à l’existence historique quand ils ont abandonné l’école, qui depuis le Siècle des Lumières avait été constamment leur oeuvre, à l’improvisation, puis à la dissolution. Tout se passe comme si l’école avait été trahie par les siens.
L’école est, en effet, plus particulièrement atteinte qu’aucune autre institution par une rhétorique de l’innovation qui l’invite à renoncer à sa fonction propre pour servir seulement d’appoint dans les processus d’apprentissage entrant dans le fonctionnement de l’économie comme système clos ou, si l’on préfère, comme système se suffisant à lui-même et tendant à constituer le tout de la société. Ce qui a vraiment changé, c’est donc bien que l’école, finissant par avoir honte d’elle-même (ne dénonce-t-on pas sans retenue le vain loisir, les oeillères l’infirmité des maîtres comparés aux prestigieux seigneurs de l’industrie ?) tend à s’effacer au profit de la société extérieure où elle va maintenant chercher ses modèles, alors que depuis son origine et par destination, contrairement aux thèses d’une histoire falsifiée, elle n’avait cessé de se vouloir différente, jusqu’à constituer, par rapport à la société extérieure, comme un contre-modèle. La question est alors de savoir si, l’école ayant perdu la notion ode sa fin, nous ne sommes pas en train d’assister à la fin de l’école. Et il n’est assurément pas à méconnaître qu’une erreur d’appréciation sur le changement peut avoir de graves répercussions politiques. Bergson nous en avertit quand il écrit : "Sur dix erreurs politiques, il y en a neuf qui consistent simplement à croire encore vrai ce qui a cessé de l’être. Mais la dixième, qui pourra être la plus grave, sera de ne plus croire encore vrai ce qui l’est pourtant encore." Qu’en est-il donc de l’erreur philosophique et politique majeure dans laquelle parait s’engager aujourd’hui, si aveuglément en apparence, sur la question de l’école, le monde occidental ?
La méconnaissance de la finalité et du sens comme question centrale de la philosophie pratique et, par suite, l’absence d’une conviction suffisamment assurée sur la fonction de l’école entraînent une indifférence croissante pour les contenus, c’est-à-dire pour les différentes formes du savoir et de la culture, et laissent libre cours à l’invasion de la pédagogie, tantôt par les procédés dits d’animation, tantôt par les techniques d’apprentissage calquées sur des modèles empruntés aux formes du travail industriel. La pédagogie se présente dans les deux cas, non plus comme l’art d’enseigner, c’est-à-dire de guider la pensée d’autrui sur les chemins du savoir, mais comme une panoplie de techniques imaginées pour produire des comportements dont l’ensemble constitue, dans un sens restrictif et très particulier du mot, l’éducation. Rappelons pour mémoire que le behaviourisme, contemporain en Amérique du taylorisme, est l’origine de la psychologie de réaction et du comportementalisme qui ont abouti à ce qu’on croit pouvoir appeler innocemment la pédagogie par objectifs. Le refus affiché de se référer à une idée réfléchie de l’homme conduit à organiser l’apprentissage d’après des tâches ou sur le modèle des tâches définies par des besoins d’un système de production dans lequel l’homme intervient comme instrument. D’où une méthode de décomposition du comportement réduit à une somme d’habiletés pouvant s’acquérir selon des processus isolables et se prêtant à la mesure en vue d’une évaluation. Cette pédagogie, ou plutôt cette psychologie appliquée ayant, grâce à un schéma expérimental et à un présupposé quantitatif, certaines apparences de scientificité, pouvait alors s’institutionaliser un nouveau type de pouvoir sous la bannière des "sciences de l’éducation ".
Ce bref rappel vise surtout à mettre en lumière la restriction de sens affectant le terme de comportement qui ne désigne plus, en effet, que la manifestation observable et, si possible, mesurable d’une habileté quelconque rapportée à tout autre chose qu’à une idée de l’homme considérée comme fin ou se proposant lui-même des fins conscientes et réfléchies. Le comportement est censé effectuer un fonctionnement dont il devient sans intérêt de chercher le sens, puisqu’une telle question invoquerait le principe notoirement non scientifique de finalité. II est à remarquer, toutefois, que ce fonctionnement n’est pas celui d’un outil ou d’une machine que l’homme aurait conçu et construit pour son usage, dont, par conséquent, on connaîtrait d’avance la finalité. Ici l’utilité est déplacée de l’objet (l’outil, la machine) vers le sujet (l’homme). L’homme est non seulement regardé comme un outil nécessaire à une production, mais, dans sa relation à la technique, qui le sépare du résultat, comme d’outil d’un outil. On voit que la psychologie instrumentaliste, par l’absence proclamée de référence philosophique, engage une prise de position, tantôt cachée, tantôt cynique, dont les conséquences philosophiques inévitables appelleraient un examen lucide, le refus de la philosophie étant, ici comme ailleurs, le signe d’un dogmatisme redoutable.
Et en effet les protestations de modestie scientifique et de prudente positivité cachent souvent des présupposés indûment soustraits à l’appréciation philosophique. Les déclarations "humanistes" des utilisateurs sont sans effet sur la pratique d’une pédagogie qui ne traite pas l’homme comme une fin, mais comme un simple moyen soumis à des procédures de contrôle. Encore faut-il observer que, sur le terrain même de l’efficacité, la méthode est singulièrement fragile, car une évaluation portant sur les objectifs prochains et strictement délimités de l’apprentissage ignore sa finalité et sa portée lointaine, ce qui entraîne des déceptions incompréhensibles à partir des seuls postulats de départ. Des ignorants spécialisés ne peuvent, en effet, s’adapter à une situation nouvelle qu’à la condition de subir un nouveau dressage. D’où le terme à la fois éloquent et dérisoire de recyclage. La fortune de la formation permanente témoigne en grande partie de l’infortune de l’instruction initiale. Il est aisé d’en conclure que l’instruction véritable, aussi bien technique que théorique, ne se réduit pas au montage de dispositifs dont il suffirait de contrôler ensuite le fonctionnement, mais qu’elle doit d’abord et essentiellement se référer aux fins poursuivies, au sens de ce qu’on fait.
( … ) De fait, ces recherches de pédagogie savante témoignent d’une guerre inexpiable conduite contre le sens dont, pourtant, la prise de conscience est l’âme même de toute culture. S’il est vrai que la performance obtenue par un fonctionnement est, prise seulement en elle-même, indépendante de la finalité et du sens de ce qu’on fait, sont remis à leur vraie place même les champions olympiques tant admirés. Il est, en effet, des performances absurdes si l’on s’avise de les rapporter aux fins que l’homme peut se proposer. Qu’en est-il de l’homme lui-même quand il est testé comme un simple instrument, ou encore comme un produit fini ? On sait ce qu’on veut dire quand on dit d’un homme qu’il est un homme fini. Tant d’ingéniosité débouche à la lettre sur le vide, au sens où l’on a pu dire qu’il est des compétences, jusque dans les professions aujourd’hui les plus glorieuses, qui sont des têtes vides. L’intelligence n’est pas un mécanisme de fonctionnement dont l’enseignement, ou ce qui en tiendrait lieu, aurait pour but d’accroître et de contrôler l’efficacité au moyen d’une grille. Réagir devant une situation par le déclenchement d’un savoir-faire comme, ce peut être utile - ou nuisible -, mais c’est le contraire de comprendre. La compréhension, qui a pour objet le sens, n’est pas un comportement et l’intelligence ne relève pas d’un dressage, mais d’une instruction capable de mettre en oeuvre les ressources de la culture et de la pensée".
" (…) L’empirisme pédagogique, que nous tentons de caractériser, suit également sa pente naturelle quand il tend à privilégier les phénomènes de groupe qui, en effet, sont censés constituer des situations auxquelles l’individu répond par un comportement. La psychologie instrumentaliste rejoint donc une sociologie sommaire pour traiter l’ensemble des élèves composant une classe, un établissement, comme un groupe donné, préexistant, ayant ses caractères propres, ses idées, ses sentiments et sa vie avant même l’intervention d’un enseignement quelconque. D’où des théories à la fois dogmatiques et incertaines, quel que soit ici le renfort de savantes statistiques, sur l’influence déterminante des origines sociales, les pré-acquis, la dynamique de groupes formés par simple rencontre, comme si l’enseignement était condamné à n’intervenir qu’après coup, par des techniques d’animation ou de dressage, sur une réalité psycho-sociologique déjà donnée et constituée. Ces théories partent du présupposé selon lequel la classe (ou l’établissement) est un groupe donné parmi d’autres, c’est-à-dire qu’il est au mieux l’espèce d’un genre. Mais quel maître, qui s’est véritablement essayé à enseigner, ignore que la classe ne préexiste pas à l’acte d’enseigner, que c’est précisément cet acte, et rien d’autre, qui la constitue comme classe ? Le groupe est une donnée infra-pédagogique qui n’a pas lieu d’exister dans l’école. Dans la classe, l’enseignement, c’est-à-dire l’exigence d’un contenu essentiel de vérité, instaure par lui-même la règle de conduite, veille à l’égalité de tous, à l’indépendance de chacun, au loisir fondamental que suppose toujours une libre étude. La tâche d’apprendre, comme projet spécifique de l’homme, si elle se présente avec l’évidence qui convient, crée la classe avec sa réserve de courage, d’ardeur et d’espérance. En ce sens, le maître a, pour la meilleure part, la classe qu’il mérite. Il en est de même d’un établissement comme communauté d’étude : celle-ci n’existe pas avant la règle qui l’institue. Ainsi peut s’expliquer l’immense différence qui sépare parfois deux établissements très proches dans l’espace, ayant même type d’élèves, issus des mêmes milieux : l’un forme une communauté de travail et d’étude, l’autre non. Laisser subsister la classe ou l’établissement tout entier comme simple agrégat livré à la tyrannie de mécanismes aveugles, c’est une forme de ce qu’il faut bien appeler le refus contemporain d’enseigner. Tout maître averti de ses devoirs élémentaires sait très bien que la pédagogie consiste avant tout à réduire, non pas à entretenir, encore moins à amplifier les phénomènes psychosociologiques de groupe. La classe la mieux conduite est justement celle où chaque élève se sent le moins tributaire des effets de groupe, car c’est seulement à cette condition qu’il est vraiment libre pour l’étude et capable d’attention pour l’objet de l’étude. Tout le reste est expédient, manipulation, action psychologique, mélange incertain de démagogie et de manoeuvre policière.
La fascination exercée par le phénomène de groupe est à l’origine d’expérimentations pédagogiques qui suivent en commun le souci de partir du "vécu" des élèves, de tirer parti d’effets psycho-sociologiques, d’exploiter un matériel (documentation, machines), reléguant l’enseignement proprement dit au rang d’auxiliaire, d’appoint dérisoire appelé à intervenir le moins possible et le plus tard possible, précisément quand ce n’est plus possible. L’acte d’apprendre est assimilé à un phénomène psychologique ordinaire, la connaissance confondue avec l’information, sa diffusion ou son commentaire, d’où la croyance proprement magique, non critique, à l’importance décisive des media ; enfin le groupe est pris pour un sujet réel et capable de pensée. Au mieux l’activité intellectuelle est conçue sur le modèle de l’activité industrielle, économique, qui appelle le concours de plusieurs, la division du travail, la diversité des intérêts et des compétences, l’échange de vues, l’arbitrage. Mais l’école, c’est autre chose. La connaissance (et c’est vrai aussi de l’habileté corporelle) n’est pas le fait d’un groupe ; elle est le fait d’individus distincts, séparés, capables d’atteindre chacun à l’autonomie de la pensée. On n’entre pas dans un orchestre pour devenir musicien, mais parce qu’on l’est déjà. On ne comprend pas à plusieurs, car comprendre n’est pas une tâche collective. Tout peut se faire ou se mettre en commun sauf la pensée. On peut tout faire ensemble, sauf être intelligent. "Les sots ont ceci de commun avec les éponges, dit Valéry, c’est qu’ils adhèrent." L’intelligence n’adhère pas, ne fait pas partie, n’est le co-équipier de personne. L’école s’efface dès que le groupe l’emporte sur la classe où les esprits sont égaux et libres devant la lâche personnelle d’apprendre. Simone Weil, lectrice de Platon, nous rappelle que le nombre deux pensé par un esprit ne peut s’ajouter au nombre deux pensé par un autre esprit pour former le nombre quatre, pas plus que le fonctionnement d’une machine, si perfectionnée soit-elle, ne petit produire une seule pensée.
Si la pensée véritable est difficile, autant que rare, et s’il faut beaucoup de soin pour éviter les pièges de la bêtise, est-il alors raisonnable d’adopter pour maxime pédagogique de laisser libre cours à l’expression débridée d’opinions précédant toute étude ; expression, spontanée seulement en apparence, de pensées toutes faites, c’est-à-dire, comme dit encore Valéry, que personne n’a faites, et celui qui parle moins que personne ? Une telle maxime jointe à l’indifférence pour la discipline élémentaire, le simple maintien, la politesse, a pour effet la disparition de l’enfance scolaire, au sens où les biologistes parlent de la disparition d’une espèce. C’est la psychologie qui a fait de la timidité un terme univoque et péjoratif, jusqu’à lui imposer une acception presque constamment pathologique, comme si toute crainte était nécessairement mauvaise, même la crainte de se tromper et d’être un sot. (…) Il est toutefois à craindre qu’une société où l’on aime à dire qu’"il n’y a plus d’enfants" soit une société où peu nombreux sont ceux qui deviendront véritablement des adultes. Certains appels à une fausse liberté menacent la liberté même. L’absence, voire le mépris de l’instruction, de la réflexion cultivée et, par suite, du jugement, pourrait laisser la place vacante pour des tentatives de manipulation et d’embrigadement. Que ferait demain une jeunesse sans timidité et sans insolence, mais disponible et détendue, comme on dit, et qui serait un peu trop fermement invitée à marcher au pas ? On se contente, en effet, de la règle la plus simpliste quand la pensée est entièrement privée de règle et exposée ainsi à l’aventure.
Nombre de platitudes et de contresens pourraient être évités si l’on consentait seulement à se demander ce qu’on dit et à tirer au clair les affirmations surprenantes qui peuplent le discours pédagogique, car il est impossible qu’on veuille vraiment dire ce qu’on dit parfois. L’école doit, dit-on, s’adapter aux élèves tels qu’ils sont ; l’école, ajoute-t-on, doit préparer l’enfant non pas au monde, tel qu’il doit être, mais au monde tel qu’il est. Propositions peu cohérentes : est-il souhaitable, est-il seulement possible d’adapter les élèves tels qu’ils sont au monde tel qu’il est ? Quels sont-ils et quel est-il ? Et, dans l’hypothèse d’une harmonie préétablie, les élèves tels qu’ils sont étant déjà des produits de la société telle qu’elle est, à qui bon l’école ? Si, d’autre part, on veut dire que l’enseignement doit se garder de poser des exigences qui ne sont pas d’abord ressenties par les élèves, indépendamment de tout enseignement préalable, du seul fait de ce que les psy chologues nomment motivation, on se demande encore à quoi il peut servir, et ceux qui en concluent que l’école est sans objet, qu’elle doit se diluer dans le milieu extérieur, qu’épouser son temps c’est pour elle consentir à disparaître, ont du moins le mérite de ne pas se contredire. Si l’on veut dire enfin que l’école a pour but de faciliter l’intégration de l’individu dans une société donnée et de lui éviter une désadaptation qui pourrait prendre la forme de la marginalité, de la révolte, ou tout simplement de la critique, n’est-ce pas qu’on s’accommode d’une société plus ou moins discrètement esclavagiste dans laquelle chacun ne serait que l’organe d’une volonté en apparence anonyme et transcendante ? Peut-être préfèrera-t-on assouplir et enrichir le concept d’adaptation, y introduire même un principe d’activité : il restera toujours qu’une donnée de fait extérieure est prise pour règle suprême d’une action. S’adapter sous l’occupation, c’était collaborer avec l’occupant, et cela n’excluait ni les variantes ni les initiatives. Mais exister, c’est résister. L’homme libre, c’est l’homme qui ne marche pas, qui se refuse à emboîter le pas. Sans ce pouvoir de refus qui juge toutes les adaptations, évolutions ou innovations, il est absolument impossible de penser l’école et de lui donner un sens."
(…) La fin de l’école renvoie donc à une notion philosophique de la liberté qui se définit non pas comme le pouvoir de satisfaire ses désirs en tirant parti de la conjoncture, mais comme la capacité d’accorder sa pensée et de régler sur elle ses actions. Elle suppose une idée réfléchie de l’homme dont l’agent ou le patient de la libre entreprise et du libre échange n’est pas le modèle exclusif. Quand la liberté tend à se confondre avec le jeu d’une économie dont elle sert seulement à faciliter le fonctionnement, ce que signifie un certain libéralisme, elle n’a plus ni consistance ni fondement. Quand on parle, par exemple, de la demande des élèves, comme ne cesse de faire le discours pédagogique dominant, on ne parle pas un langage proprement pédagogique, on parle le langage du marché, le langage du marchand. Nous sommes à une époque où l’on ne sait plus ce que c’est que la liberté, parce qu’il manque une idée de l’homme que ne peuvent fournir les modèles du producteur, du consommateur, du négociant, terme dont il faut rappeler qu’il désigne en latin l’homme affairé, absorbé, sans loisir. On comprend ainsi que le discours pédagogique qui prétend épouser son temps ne connaisse qu’une caricature de liberté ; il n’est que l’une des variantes du discours économique.
S’étant une bonne fois exemptée de toute rigueur philosophique, l’étude du phénomène éducatif, selon une expression d’intention positiviste, donne lieu à divers types de "recherche", qui nous paraissent appeler deux remarques. D’une part, en effet, une telle étude tend à faire de l’enseignement un objet de représentation exposé à un jugement extérieur. On ne peut pas être à la fois dedans et dehors. Les observations que le maître fait dans sa classe sont en relation avec son projet pédagogique ; elles accompagnent l’enseignement dans lequel il est engagé et elles lui permettent simplement de prévoir certains ajustements en accord avec ce projet. Elles ont donc peu de rapport avec les observations de quelqu’un qui n’enseigne pas et décrit l’enseignement d’autrui comme un simple phénomène, c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’un combat d’araignées. Encore faut-il distinguer, parmi les représentations du phénomène, celle qui, se prétendant positive, s’attache à fournir les moyens d’ajuster des conditionnements, et la représentation comme spectacle, comme théâtre, qui inspire la pédagogie mélodramatique exposée dans certains ouvrages se rapportant à la psychologie et à la sociologie de l’éducation.
D’autre part - et c’est la seconde remarque - il faut se demander quelle idée l’on se fait de l’enseignement quand on le traite comme un phénomène observable. Il s’agit de savoir si l’enseignement est une simple donnée susceptible de devenir objet d’étude positive et, par suite de modifications d’ordre technique, ou bien s’il est une pratique se référant à des fins qui, comme telles, ne sont pas observables, parce qu’elles sont posées et non point données. Dans cette seconde hypothèse, l’enseignement est tout autre chose qu’un fait empirique de représentation et l’on peut estimer que le traitement de l’enseignement comme représentation est à la fois le signe et l’origine de la dérive qui affecte la pédagogie contemporaine. Celle-ci se caractérise, en effet, par son indifférence, voire son hostilité, aux contenus de savoir et de culture, qui échappent certes à l’observation. Elle réduit l’enseignement lui-même à une collection de comportements et d’attitudes déterminés d’après des objectifs dont le choix, dominé par les vicissitudes de l’adaptation, est généralement indifférent aux exigences d’intelligibilité et de vérité. On parvient ainsi à ce paradoxe que l’étude de l’école a pour effet le plus sûr de supprimer l’étude à l’école.
L’enseignement une fois tombé ainsi au rang d’une simple technique, il ne s’agit plus que de tirer d’une connaissance fragmentaire et empirique (psychologie, sociologie, etc.) des moyens permettant d’obtenir certains effets sans liaison avec l’idée d’humanité comme fin suprême. L’empirisme pédagogique est fertile en procédés divers qui reviennent, pour ainsi dire, à changer l’apparence de la marchandise pour relancer la vente, sans que soit jamais élucidés le sens de l’entreprise, la fin visée, l’homme qui est en vue. D’où également le souci d’entourer ces procédés empiriques de la garantie illusoire que semble apporter une évaluation à court terme, comme dans une entreprise de production, quand il s’agit de s’assurer la maîtrise d’un marché. Faut-il rappeler que le premier test d’évaluation de la maïeutique comme méthode pédagogique fut la mort violente de son inventeur, première victime connue des parents d’élèves, et que nous n’avons pas fini, vingt-quatre siècles plus tard, d’approfondir la méthode que Socrate opposait déjà aux procédés et aux expédients sophistiques ? Sans aller aussi loin dans le temps, il ne serait pas superflu de se souvenir que l’école a besoin de nombreuses années pour produire ses premiers fruits, car ceux-ci mûrissent en dehors d’elle ; il faut vingt ans, et même beaucoup plus, pour savoir quels hommes on a faits. C’est pourquoi si l’on tient absolument à comparer l’éducation à une entreprise, c’est moins à une entreprise de fabrication qu’il faut songer qu’à une administration d’un tout autre type, comme celle, par exemple, des eaux et forêts. La première est tributaire au jour le jour de la conjoncture et de la sensibilité du marché, tandis que la seconde doit tenir compte de la nature et de la vie, de leurs exigences permanentes, en vue d’établir des prévisions à long terme. Et si, par exemple, on commet l’imprudence, en pays méditerranéen, de planter des résineux pour répondre à des besoins immédiats et parer au plus pressé, on risque de les voir bientôt flamber et ainsi de devoir tout reprendre sur de nouvelles bases. Dans l’enseignement aussi la précipitation dévore les fins, sacrifie l’avenir et ne laisse que ruines.
Il est donc encore plus absurde en pédagogie qu’ailleurs de singer les modes. Outre le risque de prendre toujours du retard et de s’exposer ainsi au ridicule, il est vraisemblable que les situations auxquelles ou aura voulu préparer spécialement les élèves ne seront plus les mêmes quand ils auront à les affronter réellement. L’école adaptée au temps présent est donc presque à coup sûr l’école de l’échec. L’école véritable, au contraire, a en vue l’homme qui devra penser et agir dans un avenir qu’en toute rigueur nul ne peul prévoir. Elle dispense donc un enseignement allant un peu plus loin que l’utilité immédiate et, par suite, assez indépendant des changements les plus apparents. Quel que soit l’intérêt de prévisions dont les moins aléatoires sont à très court terme, il ne faudrait pas oublier que l’école intéresse des êtres qui devront vivre une existence personnelle dans une histoire qui n’est pas encore écrite. L’école est faite pour un avenir imprévisible. Mais l’opinion dominante est que c’est la société qui fait l’école et qu’elle l’entretient pour sa propre conservation, ce qui rend incompréhensibles, les révolutions dont on sait qu’elles sont généralement conduites par les anciens élèves des anciens régimes. C’est, en effet, une culture capable de revenir sans cesse à ses propres sources et à son commencement qui assure la possibilité des renouvellements ; coupée de ses origines, elle devient bientôt caduque. L’école n’a rien d’autre à faire que d’aider les hommes à sortir de l’enfance et de leur apprendre à bien user de leur raison. Un enseignement préoccupé d’une adaptation déterminée, d’une efficacité particulière, un enseignement qui n’est pas pluridisciplinaire et polytechnique, qui n’est pas universel, n’est pas un enseignement du tout. L’école adaptée, l’école alignée, c’est l’école supprimée. Voilà pourquoi l’on ne prend jamais trop de recul ou trop de hauteur pour juger des choses de l’école, qu’il s’agisse de son organisation, des programmes ou des méthodes d’enseignement. La durée ici entre dans la substance même de l’institution."
(…) Car l’école est l’institution par excellence. Instituer, c’est donner commencement, établir, mettre sur pied. L’école est le lieu où s’accomplit, selon le beau titre de Montaigne, l’institution des enfants ; et des divers noms par lesquels on peut nommer le maître d’école, celui d’instituteur est encore le plus vrai. Encore faut-il estimer que les enfants ont besoin d’être institués, ce qui n’est plus une évidence à une époque où l’on veut souvent nier tout ce qui peut contrarier l’enfance, ainsi devenue modèle de vie pour beaucoup d’adultes. Or l’institution des enfants suppose qu’il existe véritablement des adultes, c’est-à-dire des êtres qui ne vont pas chercher dans leurs rêves embryonnaires leur idéal de l’homme. L’enfant, qui a en quelque façon la sagesse de son âge, pour peu que sa nature ait assez bien résisté au traitement des nourrices, sait très bien que l’enfance n’est pas un état dans lequel on peut s’installer et qu’il faut un jour en sortir. Tel est le vrai ressort de l’éducation, directement contraire à certaines théories proprement infantiles de la motivation. Car toutes ces théories aboutissent à défaire l’école, à perpétuer l’enfance et sa faiblesse, à trahir le meilleur de l’enfance. Non point que la psychologie manque d’efficacité. Au contraire, elle produit à foison des enfants qui lui ressemblent comme des frères. La meilleure façon de ne pas se tromper sur la réalité, c’est de la produire soi-même. La psychologie de l’enfant produit précisément un être artificiel qu’on peut appeler l’enfant de la psychologie et qui fait, non sans malice, au théoricien le cadeau de preuves irréfutables. Il est admirable d’entendre des enfants réciter par coeur des formules apprises, sans ignorer jusqu’au vocabulaire savant ("nous ne sommes pas motivés" ou "dans ce lycée il n’y a pas de communication " ou choses semblables), car l’enfance et l’adolescence ne manquent jamais de renvoyer aux adultes l’image qu’ils se font d’elles. La jeunesse se tient toujours au niveau du regard qu’on porte sur elle, à ceci près que, dans son secret, elle vaut toujours un peu plus et qu’elle méprise les démagogues qu’elle sait exploiter à l’occasion. Il faut conclure qu’une génération a les enfants qu’elle mérite et qu’elle ne peut se plaindre que de ses propres démissions.
Si donc l’école est trop souvent l’abri où des parents abandonnent leurs enfants depuis que le parvis des églises est moins fréquenté, il ne faudrait pas qu’en même temps les enfants fussent dans l’école abandonnés par leurs maîtres. Ce serait malheureusement le cas si l’école était un espace indifférencié, où l’on ne pourrait qu’errer, se traîner, s’agglutiner, pour passer le temps. Ce serait encore le cas si la présence à l’école ne recevait pas la justification du travail et de l’étude. Pendant des siècles l’école n’a été ouverte qu’à une minorité et peu d’hommes ont eu accès à l’instruction. De nos jours, l’école ne parait pas toujours avoir pour objet principal d’instruire ; elle n’est parfois qu’une mauvaise garderie dispensatrice d’ennui par simple absence de travail et même de tenue. Des enfants abandonnés par la rigueur, la vérité, la beauté, sont alors livrés sans défense aux sentiments, conduites, langages sommaires et uniformes ; ils .sont contraints de chercher les "valeurs" du côté des diversions faites pour tromper le vide des pensées. La question mérite d’être sérieusement posée : l’ignorance est-elle toujours considérée comme un mal ? Tenir un peuple dans l’ignorance est-il toujours le crime le plus grave imputé au pouvoir arbitraire ? Depuis que, d’après les visionnaires de l’actualité, nous avons quitté la galaxie Gutenberg, l’analphabétisme n’apparaît plus avec autant d’évidence comme une calamité. Souvent encouragé par les bulletins pédagogiques, mal combattu parfois par les instructions et les programmes officiels, il n’est plus inconcevable de le voir ériger en institution, de sorte que la vraie question pourrait être celle-ci : les études se dégradent-elles, dans l’ensemble du monde occidental, parce que les élèves sont devenus ce qu’ils sont, ou sont-ils devenus ce qu’ils sont parce qu’on renonce tout simplement à les instruire ? Car nous avons moins affaire aux enfants d’une époque qu’à ceux d’une pédagogie. Ainsi s’installe le cercle que nous avons déjà évoqué : une pédagogie qui fabrique ses propres preuves avec des élèves parfaitement conformes à son projet.
La pédagogie n’est pas toujours seule en cause, du moins directement. La scolarité tend à s’apparenter aujourd’hui, dans de trop nombreux cas, à une sorte d’exode, voire de déportation quotidienne. Pour l’école dite de masse, on a inventé 1e ramassage. Le sommeil écourté, le temps perdu, l’attente et la dissipation, les devoirs hâtivement copiés dans un buffet de gare, tel est plus d’une fois le début d’une journée d’écolier. L’établissement édifié à des lieues de toute présence humaine, dans un terrain vague, inconnu, même des habitants les plus proches ; des bâtisses dont le revêtement est dégradé avant même d’avoir commencé de vieillir, construites selon un plan concerté de dispersion qui exclut tout centre de référence, toute possibilité de rencontre. C’est un choix pédagogique et cette architecture n’est pas innocente. L’édifice est délibérément tourné vers l’extérieur, ce qui vraisemblablement symbolise l’ouverture au monde : point de centre, point de cour intérieure où l’on puisse se croiser, s’arrêter, converser ; nul signe indiquant l’accueil, l’entrée de l’établissement. Ce refus de solennité, d’intériorité, de recueillement, d’habitabilité trouve sa plus claire expression dans l’étendue indéfinie, incertaine, destinée au passage d’une masse anonyme et informe dont, dans de telles conditions, la résignation et même la gentillesse peuvent susciter beaucoup d’étonnement. Et que, dans ces déserts grouillants, il soit malgré tout possible de rencontrer bien souvent des maîtres qui enseignent et des élèves qui essayent d’apprendre, c’est un sujet d’étonnement plus grand encore. Mais que les responsables de cet état de choses mettent au compte des media et, plus généralement, d’un fait de société les difficultés actuelles de l’école, voilà qui est sans doute moins tolérable. L’architecture est peut-être une pédagogie ; elle est sûrement une politique et, comme telle, elle devrait relever du jugement des citoyens. Il ne suffit pas d’entasser du béton, de construire des escaliers et des couloirs interminables, pour former un lieu où l’on puisse instruire et éduquer. Même le plus riche matériel est un apport dérisoire si les murs sont inhabitables. On ne fait pas un collège, une école, un lycée avec du matériel. La vie monacale eut jadis des exigences que des architectes surent comprendre et que leur art sut assumer. Ce n’est pas seulement, peut-être pas essentiellement une question de crédits : simplement les architectes ne comprennent plus qu’une aire de passage est le contraire d’une habitation et que les études, par exemple, ont besoin d’un toit approprié au mode de vie qu’elles supposent. Mais la pédagogie a aussi l’architecture qu’elle mérite.
" (…) Construire l’école, ses murs et sa doctrine, c’est tout un. L’origine grecque du mot dit assez que l’école doit être un lieu de repos et de loisir destiné à abriter les libres occupations de l’étude. Tâche incompréhensible si l’on adopte sans lucidité critique cette représentation de l’enfance et de la jeunesse que des adultes semblent avoir formée tout exprès pour se décharger du devoir d’instruire. Il est vraiment étrange, par exemple, de croire découvrir une l’enfant d’âge scolaire n’est pas une table rase. La théorie des "pré-acquis" (il fallait en effet un terme nouveau pour désigner ce qu’on sait et répète depuis des siècles) trouverait dans l’existence de la télévision et des bandes dessinées une preuve irréfutable, comme si Descartes n’avait jamais écrit que "les préjugés de notre enfance sont la première et principale cause de nos erreurs." La différence entre nos pédagogues et le philosophe, c’est que celui-ci n’estimait pas qu’on pût fonder un enseignement sur des acquisitions auxquelles la raison n’a point pris part et dans lesquelles elle ne se reconnaît pas. Or ces pédagogues, armés de psychologie, sont si loin de croire que leurs élèves, quand ils en ont, peuvent entendre le langage de la raison qu’ils s’évertuent à aggraver la situation qu’ils croient décrire, en reprenant à leur compte le langage de la publicité et des bandes dessinées. Ainsi peut-on lire, sur une affiche officielle représentant un jeune garçon qui traverse une rue d’un air décidé, la légende suivante "Zorro aime l’aventure, mais il traverse dans les passages zébrés." Car le zèbre, j’imagine, ajoute à l’aventure ! Cette pédagogie, qui traite l’enfant en consommateur, tend à valoriser les préjugés jusqu’à en faire le fondement d’une éducation. Nos instituteurs n’attachaient pas autant d’importance aux histoires de bonnes femmes et aux superstitions autrement pressantes que des images fugitives qui fatiguent trop l’attention pour laisser beaucoup de traces. Mais il faut rétablir, contre un dénigrement qui est de mode, la vérité sur l’histoire de l’école. L’école ne concevait pas alors d’autre tâche que d’instruire pas à pas, sans se laisser impressionner par les préjugés ni éblouir par les images du temps, pourtant moins fuyantes que les nôtres. Nous sommes en proie à ce monstre qu’est l’école préoccupée, qui, se croyant investie par un ennemi imaginaire, n’hésite pas à lui apporter des gages pour s’assurer une survie sans honneur. Ainsi l’école ouverte sur le monde tel qu’il est, et décidée à prendre les élèves comme ils sont avec l’inégalité de leurs "pré-acquis", est le cheval de Troie de l’injustice sociale, ce qui conduit inévitablement à une sorte de privatisation de l’enseignement et, pour commencer, au préceptorat familial, car il faut bien que les contenus soient transmis par d’autres voies quand ils ne le sont plus par l’école.
On sait enfin que l’école met à sa devanture non seulement l’imagerie du jour, mais encore un luxe coûteux d’instruments et de machines plus propres à figurer sur des affiches publicitaires qu’à instruire. Est-il sensé de placer devant une machine compliquée des élèves incapables de rendre compte du fonctionnement d’une bicyclette ? Kant, après Rousseau, énonce comme première règle d’écarter autant que possible tous les instruments. Et cette règle ne vaut pas seulement pour l’éducation du corps (à force de rassembler des machines autour de nous, note Rousseau, nous n’en trouvons plus en nous-même), mais plus encore pour la formation de l’esprit. D’une part, en effet, il faut cultiver l’habileté naturelle (l’écriture, le calcul) et réserver les machines aux seules tâches professionnelles, qui n’ont pas pour fin d’instruire ; d’autre part i1 serait avisé d’éviter le cercle consistant à introduire comme moyen de connaissance ce dont la construction et le fonctionnement supposent d’abord la connaissance qu’on prétend transmettre par leur moyen. De même qu’il a fallu libérer l’enfant des lisières et des roulettes pour qu’il apprenne à marcher par lui-même, il faudra bientôt une révolution analogue pour délivrer l’élève de l’ordinateur. A-t-on besoin de former des utilisateurs ? Mais alors il ne s’agit plus d’instruire. Apprendre à se servir d’un outil dont on ne sait pas rendre compte, ce n’est pas s’instruire, c’est s’exercer à servir. Or l’école est le lieu où l’on doit apprendre que précisément l’esprit n’est pas fait pour servir. Un rapport récent sur l’enseignement assisté par ordinateur aux Etats-Unis et au Canada explique, dans son préambule, qu’il convient d’adapter les ressources humaines au développement et à l’utilisation des moyens matériels de production, d’échange et d’innovation. C’est donc bien d’une affaire de marché, d’une question d’argent qu’il s’agit. Adapter les ressources humaines, c’est bien, comme nous disions, traiter l’homme comme l’outil d’un outil. On peut laisser un peuple dans l’ignorance, mère de la servitude, en le dotant d’un matériel dont il devient l’instrument en même temps que le consommateur, sans compter que le recul de l’exigence théorique à l’école finit par mettre en péril le renouvellement technique lui-même. Le choix demeure donc - mais le moment du choix passera - entre, d’une part, la tradition de l’école comme servante de la société marchande et fabricatrice et, d’autre part, la tradition de l’école comme lieu de découverte de l’instance théorique et de l’universel. Ce qui est en cause, c’est la confiance que, à la suite de la pensée grecque et de la philosophie des Lumières, la tradition française de l’instruction publique avait mise dans l’intelligence. Le destin de l’école intéresse ainsi la civilisation tout entière, son sens et sa fin. Il nous appartient de prendre pleinement conscience d’un enjeu qui dépasse de très loin nos intérêts apparents et prochains
احمد حرشاني
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