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مُساهمة  احمد حرشاني 29th أغسطس 2010, 13:51

Grandeur et détresse de l'enseignement de la philosophie.



Le système éducatif français se signale par une originalité: il dispense dès le lycée un enseignement philosophique fort, nettement identifié, qui longtemps demeura prestigieux. Voilà un enseignement qui a ses lettres de noblesse, un passé admiré, des figures totémiques (Lagneau, Lachellier, Alain, mais aussi Jean Jaurès et beaucoup dautres). Ancrée dans l'idéal républicain, cette spécificité française passe pour le symbole de l'excellence républicaine. De fait, cet enseignement est aussi intimement lié à l'idée de République que le sont chez les Présocratiques (par exemple chez Pythagore et Thalès) dans l'exigence de rationalité, la philosophie et les sciences. Notre République est impensable sans cet enseignement de la philosophie. Pourtant actuellement, en parallèle avec la crise profonde du modèle républicain, cet enseignement navigue dans une période d'incertitude qui se traduit par la difficulté croissante à l'assumer et par des menaces sur son essence même.



La France est le pays des professeurs de philosophie. Dans chaque petite ville (nimporte quel Bergerac ou nimporte quel Mirepoix) exercent un ou plusieurs professeurs de philosophie. Ce sont assez généralement gens de haute culture qui tout en étant enracinés dans un terroir demeurent " citoyens de l'univers " . L'esprit de l'Athènes antique survit en eux et leur seule présence, leur seul type de présence, fait arche entre chacune de ces villes, souvent petites, et l'ancienne Grèce. Cette étonnante dissémination territoriale de philosophes - alors que dans la plupart des autres Etats les philosophes se concentrent dans quelques grandes villes universitaires, se retranchant de la réalité du peuple- manifeste l'une des plus extraordinaires réussites du centralisme jacobin. Ce dernier en effet a permis à la philosophie d'essaimer dans tout le pays.

Le portrait de Socrate tiré par Platon tire exhibe le père de la philosophie dialoguant au coeur de la cité avec les non-philosophes. Sur ce modèle, l'enseignement de cette discipline au lycée se traduit par un frottement permanent entre la philosophie et ce qui n'est pas elle, entre la philosophie et ce qui lui est rebelle. On y voit la philosophie s'exercer à sa limite. Elle y travaille dans la friction avec une opinion en train de s'éclairer (cet éclairement progressif étant le sens de l'éducation). Ainsi existe-t-il une zone de contact entre la philosophie et l'opinion qu'on ne rencontre qu'en France.

Cet enseignement a procuré un certain ton à la philosophie de langue française, lui permettant de garder une tournure d'esprit qui la rend très différente de la philosophie de langue allemande. La France doit à l'existence d'un fort enseignement philosophique au lycée la chance d'avoir pu se composer un autre profil philosophique (malgré la mode de Heidegger dans l'après-guerre) que l'Allemagne. Par sa vertu le meilleur de la philosophie de langue française parvient à se transmettre de génération en génération; ainsi survit ce style qui en dépit des variations marque l'esprit français depuis le XVIIème siècle (Montaigne, Pascal, Rousseau, Diderot, Comte, Maine de Biran, Alain, Bergson nécrivaient pas dans un sabir baroque charlatanesque à la Heidegger). Les grands commentateurs universitaires eux-mêmes tels Ferdinand Alquié et Henri Gouhier, ne négligeaient aucunement d'écrire dans une langue à portée de tout honnête homme. De Montaigne à Marcel Conche ou Clément Rosset perdure un style de philosophie française, une certaine manière libre d'aborder les questions, dont l'enseignement au lycée s'est voulu le conservatoire (au sens où lon parle de conservatoires de musique : lieux où l'on sexerce à la musique, et lieux où l'on conserve le lien aux œuvres). La philosophie en France n'aurait pas la même allure sans cet enseignement prodigué dans la dernière classe du lycée ; cantonnée aux universités, elle eût été submergée par la vague heideggérienne et l'emprise de l'empirisme logique renvoyant outre-tombe la clarté et le bon sens. Et qui ignore que cet enseignement engendre un " public qui lit " (comme dirait Kant), capable de lire de la philosophie, d'être au fait des débats philosophiques, une opinion éclairée (en ce sens cet enseignement réalise une partie du projet qu'exprimait Kant dans Quest-ce que les Lumières ) ?

A lopposé de ce quon pourrait craindre pour une initiation, cet enseignement ne se place pas à l'extérieur à la philosophie. Il ne s'organise ni sous la forme d'une histoire de la philosophie, qui risquerait en permanence cette extériorité, ni a fortiori sous celle d'une simple histoire des idées ; il se situe de plain-pied pleinement et authentiquement dans la philosophie; aussi, n'est-il ni para-philosophique ni pré-philosophique. Il récuse, dans sa pratique une autre extériorité : la didactique. La transposition didactique - à la mode dans les IUFM- fabrique de l'extériorité entre l'enseignement et la matière enseignée; par suite, elle supposerait que lon présentât aux élèves la philosophie sous une forme décomposée, déstructurée, réduite à des opinions, pulvérisée en un magma d'informations. Adopter la didactique signifierait instaurer une hétérogénéité entre la démarche philosophique et la démarche scolaire impliquant l'interdiction pour l'élève d'entrer dans la philosophie (dans le cœur des œuvres). L'enseignement de la philosophie subirait dès lors le même sombre sort que l'enseignement de la littérature : le trépas, provoqué par le formalisme didactico-pédagogiste. Par ailleurs pour mener à bien cette tâche de croque-mort, à vrai dire souhaitée par les réformateurs du système scolaire ainsi que par leurs idéologues (Meirieu et Tozzi) nul besoin que le professeur, au rebours de la tradition de cet enseignement, soit lui-même un philosophe ; au contraire, s'impose alors la nécessité de désintellectualiser les professeurs, de muter les maîtres en employés, inversant ainsi l'or professoral en plomb pédagogique.

Evitant (pour l'instant) la didactique, cet enseignement tente encore l'aventure de la philosophie à l'état naissant, de la philosophie en son commencement. Les démarches de Socrate et de Descartes (mais également de Husserl) nous suggèrent qu'il convient d'appeler philosophe celui qui sait où commencer, trouver le commencement authentique puis faire grandir la connaissance à partir de ce commencement. Loin de se révéler extérieur à la philosophie, le commencement est toujours le lieu où se signalent dans toute leur force les grandes philosophies (Descartes, Hegel, Husserl). Un grand philosophe est un penseur qui a découvert un commencement, berceau à partir duquel se déploie sa philosophie. Le " je pense donc je suis ", traduisant l'expérience cartésienne du cogito, figure comme la montré Husserl le " prototype " du commencement en philosophie. Le commencement nest pas seulement théorique ; il est, Husserl nous le suggère, un engagement. Une présentation simplement didactique de la philosophie ne permettrait aucunement aux élèves de saisir cette dimension d'engagement inhérente à tout commencement authentique en philosophie. Commencer en philosophie est engager sa vie dans la mesure même où on s'engage à penser ; autrement dit c'est être d'emblée, dès le point de départ, un philosophe. Cet enseignement se propose de placer les élèves dans ce commencement. Dans la mesure où se trouve un pareil lieu de commencement chez tous les grands philosophes il n'existe - en dépit du préjugé pédagogiste qui veut écarter les élèves des grandes œuvres, réputées trop difficiles -, aucune philosophie par principe inabordable aux élèves. Le talent du professeur consiste à dénicher ce berceau intérieur à toute grande philosophie où il faudra placer les élèves. C'est chose possible même pour l'Ethique de Spinoza, jugée si ardue, ou (je le sais d'expérience) pour la Monadologie de Leibniz.



Comme s'il en était à son crépuscule, mille signes pourtant trahissent l'essoufflement de cet enseignement, ses conditions de possibilité s'effaçant de l'horizon. Rien ne le menace plus que l'occultation de ce qui fut naguère appelé " étude ". L'étude : quelque chose en voie d'oubli, quelque chose dont les lycées ne parlent même plus (comme sils avaient honte de ce passé) et dont les professeurs de philosophie les derniers tentent de maintenir quelques lambeaux ! Ce mot, étude, est devenu dans les lycées un mot tabou, un mot désuet, un mot décédé enterré dans la caducité amnésique d'une page de dictionnaire. La mort de l'étude consacre la mort de l'élève. De même qu'elles détruisent le maître - Adieu, professeur!- les réformes en cours détruisent l'élève. Adieu, l'élève !

Les adolescents des lycées sont désormais empêchés d'être des élèves - de surcroît de bons élèves, expression changée en insulte dans la novlangue scolaire officielle. Ce sont les conditions géPhilosophienérales de la jeunesse qui rendent cet enseignement de plus en plus difficile. La destruction de la logique figure l'un des aspects les plus frappants dans la modification de ces conditions générales. Le fonctionnement zappeur (le zappisme) devenu le mode d'être dominant de l'intelligence, la disparition de la capacité de suivre et de produire de longs raisonnements, le ludisme promu comme la plus haute valeur, l'étouffement du bon sens, en sont d'autres symptômes (encouragés par tout le personnel non professoral des lycées qui s'acharne avec la foi des nouveaux convaincus à refouler le désir d'étudier au profit de la multiplication kaléidoscopique des activités les plus hétérogènes).

L'effondrement intellectuel, qui rendra à court terme impossible d'enseigner la philosophie, de la jeunesse est un fait politique voulu et poursuivi par les différents gouvernements qui se sont succédés depuis vingt ans ; le besoin d'un enseignement de philosophie est avant tout un besoin politique qui suppose une certaine idée de la jeunesse désormais abandonnée. Porterons-nous le double deuil de cette idée de la jeunesse et de l'enseignement qui lui donnait chair, celui de la philosophie ?


(1)Bertrand Russell, Problèmes de philosophie (1912), Editions Payot 1989, page 185.
(2)Instituts Universitaires de Formation des Maîtres.
(3)Edmund Husserl, Méditations cartésiennes (1929), Editions Vrin 1969.
(4)Robert Redeker, " Adieu professeur ! ", Libération 4 mars 1999.
(5)Jean-Claude Michéa, Lenseignement de lignorance, Editions Climats, Castelnau-le-Lez 1999.

Robert REDEKER
احمد حرشاني
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