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مُساهمة  احمد حرشاني 29th أغسطس 2010, 13:17

Quel avenir pour l’enseignement de la philosophie ?

in coté PHILO.journal de l'enseignement de la philosophie


Quelques remarques sur la réforme de 1992 et le centenaire de la réforme de 1902

Pierre Merle, professeur de sociologie à l’IUFM de Bretagne, a notamment publié L’évaluation des élèves, PUF, 1996 ;

la citoyenneté étudiante, PUF, 1997 ; Sociologie de l’évaluationscolaire, PUF, 1998 ; La démocratisation de l’enseignement, Repères, la découverte, 2002.

Pour le dixième anniversaire de la réforme de 1992 modifiant sensiblement l’organisation des sections de l’enseignement général, un bilan peut être tenté en s’intéressant particulièrement à la façon dont celle-ci a pu modifier la place de l’enseignement de la philosophie. Un vrai bilan nécessiterait, pour être satisfaisant, des investigations multiformes, longues et minutieuses. L’objectif poursuivi est beaucoup plus modeste : poser quelques jalons d’une réflexion forcément incomplète.
La question de l’avenir d’une discipline, c’est-à-dire celle d’une inscription dans la temporalité, ne peut être sérieusement posée sans la connaissance des grandes réformes scolaires passées. Pour cette raison, une analyse de la réforme de 1992 impose un détour préalable à la grande réforme de 1902. Un bilan très rapide du centenaire de cette réforme permet d’aborder d’une façon plus instruite le dixième anniversaire de celle de 1992.
Cette approche, menée dans une perspective holiste des transformations du système d’enseignement, ne doit pas détourner d’une réflexion sur la discipline elle-même : les images sociales de la philosophie et les réformes scolaires qui modifient sa place dans le système d’enseignement ne peuvent en effet exister indépendamment de l’activité même des professeurs de cette discipline, des contenus d’enseignement, et de l’expérience subjective des lycéens qui assistent aux cours de philosophie. La réflexion est donc guidée par une conception du social dans laquelle les caractéristiques du « système » ne sont pas séparées de l’activité des « acteurs ».
La réforme de 1902 : vers la fin des humanités greco-latines ?
La réforme de 1902 a fait l’objet au cours de l’entre-deux-guerres d’un grand nombre d’analyses [1]. Pour comprendre cette réforme, il est nécessaire au préalable de présenter de façon succincte l’organisation du système d’enseignement de la Belle-Epoque.
Toute l’organisation de l’institution éducative de la fin du XIXe est fondée sur la division de la société en classe. L’école primaire est réservée aux enfants des classes populaires (dénommés parfois avec mépris « les petits primaires pauvres ») ; les enfants des classes moyennes poursuivent leur scolarité au-delà de la communale dans l’enseignement primaire supérieur (EPS) ; les enfants de la bourgeoisie entrent dès la classe de dixième au lycée (appelé le « petit lycée ») et poursuivent leur scolarité dans la prestigieuse 6e qui scolarise à l’époque moins de 5 % des garçons d’une génération, soit à peu près l’équivalent de la proportion actuelle des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles. Le lycée, réservé de fait aux enfants des notables au début du XXe siècle, présente deux caractéristiques : il est payant (jusqu’en 1933), l’apprentissage du latin est obligatoire.
À la fin du XIXe, lorsque la commission Ribot commence sa réflexion sur un projet de réforme du système d’enseignement, la place de l’enseignement du latin, ligne de démarcation infranchissable entre le lycée et l’EPS, cristallise les polémiques. À titre d’exemple, choisi spécialement pour la revue CôtéPhilo, Darlu, maître de conférences de philosophie à l’Ecole normale supérieure, déclare devant les membres de la commission : « Dieu merci, entre le primaire et le secondaire, il y a la barrière du latin ». Mais, les défenseurs des humanités classiques, pour partie des universitaires, sont concurrencés par les représentants des Chambres de Commerce des grandes villes. Ceux-ci sont sensibles à la complexité croissante des techniques de production et souhaitent qu’une partie de l’élite sociale puisse les maîtriser. La réforme de 1902 débouche sur la création de quatre filières qui vont constituer une partie de l’armature de l’enseignement général au cours du XXe siècle : la filière A (latin-grec), la filière B (latin-langues), la filière C (latin-sciences), la filière D (science-langues). Juste après la réforme, les filières dites modernes, celles dans lesquelles l’apprentissage du grec n’est plus obligatoire, vont connaître le développement le plus rapide, tout particulièrement la filière sciences-langues « purement moderne ». En 1910, les sections C et D scolarisent déjà la moitié des lycéens.
Dès le début des années 20, les analyses menées sur cette réforme sont globalement convergentes : depuis 1902, la filière A est dans une position de faiblesse. Elle offre une spécialisation trop forte par rapport aux autres filières dans lesquelles l’enseignement des langues vivantes et des sciences apportent une diversification des contenus d’enseignement de plus en plus recherchée par l’élite sociale. Le déclin de la filière A vient aussi du fait que, pour les élèves les plus « brillants », l’Ecole normale supérieure est un débouché très limité alors que les élèves des filières scientifiques ont le choix entre plusieurs concours offrant des perspectives moins restreintes (Polytechnique, Centrale, Mines, Ponts et Chaussées...). La réforme de 1925 qui supprime la filière B et pose le principe d’une formation scientifique équivalente entre la filière A et les autres va stopper le déclin des humanités classiques. À partir de 1926, la filière A va en effet accueillir davantage d’élèves. A contrario, la filière C, rebaptisée A’, connaîtra par contre un déclin relatif. Finalement, les réformes de 1902 et 1925 montrent que la quasi absence de formation scientifique constitue un handicap sérieux à la pérennité d’une filière dans l’enseignement général ( [2]).
La réforme de 1992 : vers la fin de la philosophie ?
Quel bilan tirer de la réforme de 1992 ? Il est patent que la nouvelle section littéraire a perdu, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, de son attractivité. En 1994, plus d’un lycéen sur quatre inscrits dans l’enseignement général était scolarisé en section littéraire ; en 2003, moins d’un sur cinq est dans cette situation. Dans une période de décroissance des effectifs de l’enseignement général (celui-ci a perdu environ un élève sur six), la section littéraire, la plus petite numériquement au début de la mise en oeuvre effective de la réforme, a perdu plus d’un tiers de ces effectifs alors que les sections concurrentes sont parvenues à limiter cette baisse à 2 %, voire encore moins. Cependant, la réforme de 1992 pourrait ne pas être responsable d’une telle désaffection de la section littéraire qui pourrait avoir été délaissée par les lycéens avant la nouvelle organisation de 1992. De fait, alors même que l’organisation de l’enseignement général est restée la même, la proportion de bacheliers A est passée de 45 % des admis au baccalauréat général en 1970 (après une légère croissance dans les années soixante !) à 25 % des admis en 1980. La chute est considérable. Depuis cette date, cette proportion est quasiment stable jusqu’en 1994. Ces évolutions erratiques montrent que si la réforme de 1992 a favorisé une nouvelle baisse, une telle imputation reste hypothétique et n’est pas exclusive d’autres explications. On se limitera à l’étude de l’hypothèse la plus simple : l’existence d’un effet négatif de la réforme de 1992 sur la pérennité de la section littéraire en sachant toutefois qu’il s’agit d’une simplification sensible de la question de l’avenir de l’enseignement de la philosophie en classe terminale.
Évolution des élèves par sections en classe terminale
(Enseignement général, en milliers, 1994-2002)

1994-1995 2002-2003 Évolution 1994-2002
Sections Effectifs En % Effectifs En % Effectifs Croissance
Section L 95 26 60 19.1 - 35 - 37%
Section ES 100 27,4 98 31.2 - 2 - 2%
Section S 170 46,6 156 49.7 -14 - 0.8%
Total 365 100 314 100 - 51 - 14%

Lecture : en 1994, la section littéraire scolarise 95 mille élèves en classe terminale.
Source : Repères et références statistiques, Ministère de l’éducation nationale.
Comment la réforme de 1992 a pu favoriser un décrochage relativement rapide de la section littéraire au cours des dix dernières années ? Au début des années 90, les réformateurs de l’organisation de l’enseignement général n’avaient probablement qu’une connaissance très limitée de la réforme de 1902 et des effets qu’elle avait produit sur l’enseignement des humanités. Si les comparaisons sur longue période sont toujours risqués et difficiles, il n’en reste pas moins que les mêmes causes semblent avoir produit approximativement les mêmes effets. Les comparaisons des coefficients des sections littéraires et scientifiques avant et après la réforme de 1992 sont rendues difficiles par la réforme elle-même (faut-il comparer la nouvelle section L à la série A1, A2 ou A3 ? La même question se pose mutatis mutandis pour la série scientifique. Il est possible toutefois d’établir des comparaisons en se centrant sur la place de la discipline principale de chacune des sections A1 et C (d’autres comparaisons seraient évidemment envisageables). Avant 1992, la philosophie représentait 20.8 % des coefficients de la série littéraire (5/24 points de coefficient) ; après la réforme, cette discipline représente 18.4 % des coefficients (7/38). Dans l’ancienne section C, les mathématiques représentent 21.7 % des coefficients (5/23), elles n’en représentent plus que 18.4 % dans la nouvelle section scientifique (7/38). Ces évolutions sont très comparables si bien qu’en se limitant aux disciplines ayant « le plus gros coefficient », la réforme de 1992 ne semble pas pouvoir expliquer les transformations récentes observées.
Cependant, la filière C en se transformant en 1992 en section scientifique S s’est en fait diversifiée : elle a réuni les filières D, D’ et E en conservant une grande part de leur spécificité et, fait essentiel, l’horaire commun de mathématiques a été limité à 5 h 30 hebdomadaires. Même les élèves qui choisissent la spécialité mathématique ont un horaire en mathématiques (7h30) inférieur à l’ancienne section C (9h) au grand désespoir d’une partie des professeurs de mathématiques (on n’apprend plus à raisonner...). En 1992 comme en 1902, la « spécialisation » des filières a été asymétrique. En partant des catégories de pensée commune qui fondent les sections littéraires et scientifiques, c’est-à-dire les différences socialement construites qui définissent ordinairement les activités scientifiques et littéraires, les écarts de spécialisation sont désormais considérables. Dans la section S, sur 38 points de coefficients liés aux épreuves obligatoires, 15 points de coefficient, soit largement plus d’un tiers, sont en rapport avec des disciplines dites littéraires : français (coeff. 4), histoire et géographie, LV1, philosophie (coeff. 3), LV2 (coeff. 2). Dans la section L, les coefficients attribués aux disciplines scientifiques représentent 4 points de coefficient sur 38, soit 10,5 % (à comparer à 4/24 dans l’ancienne section A1, soit 16,7 %). De surcroît, il s’agit d’enseignements scientifiques qui font l’objet d’épreuves anticipées à la fin de la première L. La terminale littéraire est donc totalement littéraire alors que la terminale scientifique est sensiblement diversifiée et moins scientifique que l’ancienne section C. Cette différence fondamentale de structures disciplinaires des sections scientifique et littéraire est susceptible d’expliquer l’hégémonie numérique de la première sur la seconde.
De la même façon que les effets négatifs de la réforme de 1902 sur la place de la section A dans l’enseignement général avaient été inversés grâce à la réforme de Léon Bérard de 1925 instituant une « égalité scientifique » entre toutes les sections, il est probable que le déclin de la section littéraire ne pourra être stoppé qu’en limitant la place de la philosophie. Certaines disciplines pourraient être renforcées (par exemple, les langues), et la section littéraire s’ouvrir à d’autres horizons (pourquoi pas une option d’économie, voire de mathématique appliquée à la statistique). Si l’histoire des sections d’enseignement depuis un siècle et la réforme de 1992 sont instructives, elles plaident pour un rééquilibrage de la section L.
Cependant, expliquer le déclin de la section L par sa spécialisation est une analyse parmi d’autres. Immédiate et en grande partie validée historiquement, elle fait toutefois l’impasse sur les caractéristiques des disciplines : savoir calculer une intégrale double de Riesman ou réaliser l’exégèse d’un texte de Kant ne développe pas le même type de compétences. Les premières peuvent être globalement préférées aux secondes par la majorité des acteurs sociaux pour de multiples raisons qu’il faudrait analyser minutieusement. Autrement dit, une nouvelle section scientifique dans laquelle les mathématiques et plus largement les « sciences » seraient davantage représentées, par exemple en limitant les enseignements de philosophie et d’histoire-géographie, pourrait connaître un succès plus grand que l’actuelle section S... Dans le cas d’une supériorité, en quelque sorte idéologique, de certaines disciplines, un rééquilibrage de la section L serait davantage susceptible de stopper son déclin.
L’enseignement de la philosophie en classe terminale : une réflexion nécessaire
Il faut prendre au sérieux l’analyse de Simmel : « En tant qu’elle se réalise progressivement, la société signifie toujours que les individus sont liés par des influences et des déterminations éprouvées réciproquement. Elle est par conséquent quelque chose (...) que les individus font et subissent à la fois. » [3]. Le déclin de la section littéraire et celui de la philosophie dans l’enseignement secondaire tiennent certes à un ensemble de transformations complexes hors du champ d’action des enseignants de cette discipline. Par exemple, le développement économique des trente dernières années est caractérisé par une augmentation très sensible du nombre de techniciens et d’ingénieurs de formation scientifique. Par ailleurs, la pensée critique, par exemple la sociologie bourdieusienne des années 70, a quelque peu perdu de sa prégnance idéologique. Plus généralement, les grands systèmes d’explications sociologiques du monde (le fonctionnalisme, le structuralisme et, plus largement, les approches les plus conceptuelles) ont perdu de leur attractivité. Les controverses théoriques sont dévalorisées et délaissées au bénéfice d’objet de débats médiatisés, circonstanciés et souvent polémiques. L’image de la philosophie n’a-t-elle pas été affectée par ces nouvelles formes de pensée du monde ?
Cependant, la transformation des images des discipline et de leur crédibilité scolaire et sociale sont également en rapport avec les pratiques des enseignants. Sur cette question, évidemment très large et impossible à aborder véritablement dans ce court article, je souhaite juste apporter au débat un extrait d’une enquête menée par questionnaires anonymes auprès de 500 étudiants : « En terminale scientifique, au bout d’une semaine, nous avions un devoir à faire à la maison, un texte de Nietzche à commenter. J’ai travaillé sérieusement, en élève studieuse, mais j’ai eu 06/20. Je n’ai pas été surprise par la note mais j’ai été très déçue par les annotations du professeur : « vous n’êtes pas encore philosophe ». Comme il ne réussissait pas à m’en dire plus alors que je le questionnais, j’ai décidé de ne plus travailler cette matière et d’en profiter pour faire des maths ».
Je n’ignore pas les pièges, facilités et risques de manipulation proprement journalistiques produits par la technique de la citation. Je souhaite seulement introduire une question classique et banale, celle de l’accessibilité de l’enseignement de la philosophie. L’écart est en effet abyssal entre les ambitions de la discipline et les possibilités d’apprentissage effectif des élèves compte tenu de leur formation antérieure. Il en résulte un malentendu considérable et souvent irréparable qui détourne les élèves d’une discipline qui semble pourtant bénéficier, en début de terminale, d’un certain capital de sympathie. Les premiers devoirs et les premières notes provoquent en effet un désenchantement quasi webérien et un réinvestissement dans les autres disciplines dans lesquelles la progression de l’apprentissage est sensiblement plus maîtrisée et les efforts fournis jugés plus « rentables ». Pour cette raison, la notion même de programme ne mériterait-elle pas au préalable quelques éclaircissements au bénéfice des élèves ? [4]. Pour cette raison, les professeurs de philosophie ne pourraient-ils agir de façon à rendre leur enseignement plus accessible à la majorité des élèves d’aujourd’hui ? [5] Pour cette raison, l’émergence de modes d’évaluation plus diversifiés et plus adaptés n’est-elle pas nécessaire ? [6] Il existe une certaine urgence : l’enseignement du grec, très présent dans l’enseignement secondaire à la fin du XIXe, a quasiment disparu le siècle suivant ; est-ce désormais le tour de la philosophie au cours du XXIe siècle ?
Le déclin de la philosophie ne se limite évidemment pas à l’enseignement du secondaire. La perte d’influence est également présente dans les effectifs étudiants : 3236 étudiants en licence de philosophie en 1996, 2135 en 2002, soit une baisse d’environ un tiers des effectifs, équivalente à celle observée au cours des dix dernières années dans l’enseignement secondaire ( [7]). Une autre façon de mesurer le déclin de la philosophie est de comparer cette chute considérable des étudiants de cette discipline à la croissance du nombre des étudiants en psychologie et en sociologie. Il n’existe pas de raisons de se réjouir d’un appauvrissement potentiellement considérable de la réflexion anthropologique (au sens large du terme). Si cette évolution ne concerne pas seulement les philosophes et la philosophie, ils seront toutefois les premiers concernés.
[1] Le lecteur intéressé par celles-ci peut notamment se référer à l’analyse publiée dans L’année sociologique en 1969 par Viviane Isambert Jamati. Cette analyse a été reprise dans un ouvrage publié en 1995 Les savoirs scolaires. Enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs réformes, l’Harmattan.
[2] « L’égalité scientifique » entre les sections, rendue facultative sous Vichy dès 1941, sera supprimée en 1945 entraînant un nouveau déclin de la filière A.
[3] Simmel G., Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1981.
[4] Le lien est en effet parfois lâche entre le « programme » et les sujets du baccalauréat. Cf. R. Dogat, Le fantôme de la science hante le bac philo, Côté Philo, 3, 2003.
[5] Sans aucun doute, il s’agit de questions en débat dans la discipline. Cf. C.-P. Pixérécourt, Élitistes, encore un effort ! Côté Philo, 3, 2003.
[6] La question de la fiabilité de la notation demeure un sujet tabou chez les professeurs, notamment en philosophie. Si les lycéens attribuent aux mathématiques une rigueur évaluative en partie illusoire, leur doute à l’égard de la fiabilité de la notation en philosophie sont totalement fondés et cette question mériterait d’être abordée par les enseignants. Les recherches docimologiques qui datent du milieu des années 30 sont sur ce point concordantes (Merle, 1998).
[7] Pour se préserver de simplification abusive, il faut noter que le nombre d’étudiants en sciences physiques connaît également un déclin sensible
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